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Portrait : Jean-Marc Allegre

Dans les paysages entre Aigues-Mortes, Saint-Laurent-d’Aigouze et Le Grau-du-Roi, un enfant naît en 1930, entre terre, sel et horizon marin. C’est là qu’a grandi un camarguais singulier, témoin d’un siècle d’aventures, de passions et de rencontres. Son histoire, à la fois simple et extraordinaire, est celle d’un homme de cœur, d’effort et de curiosité : ouvrier, militaire, athlète, artiste, cascadeur, restaurateur… Une vie comme un roman, enracinée dans la Camargue et ouverte sur le monde.

Portrait d’un enfant d’Aigues-Mortes, entre Camargue et cinéma

Jean-Marc Allègre

« Je suis né entre Aigues-Mortes, Saint-Laurent et le Grau-du-Roi, qui n’était alors qu’embryonnaire », raconte-t-il. Entre une grand-mère protestante et l’autre catholique, il apprend très tôt l’art de concilier les différences. Son père, pupille de la Nation après la guerre de 14, devient mécanicien. Sa mère tient un petit commerce. L’enfance est modeste, mais riche d’humanité.

À dix ans, une chute provoque une grave blessure au coude qui menace son avenir. « Les médecins pensaient que je resterais handicapé », se souvient-il. Mais la volonté le sauve, déjà. Pendant la guerre, la famille se réfugie à Saint-Quentin-la-Poterie. Après la Libération, retour à Nîmes, où tout recommence.

Du sport à la discipline militaire

Adolescent, il rêve de devenir kinésithérapeute et moniteur de sport. Mais le destin en décide autrement : tétanisé par le stress le jour du concours, il panique et échoue. Il choisit alors une autre voie, celle de la mécanique, comme son père. CAP en poche, il travaille à l’usine, tout en gardant le goût du sport, de la gymnastique et du dépassement de soi.

L’armée lui offre un jour l’opportunité de renouer avec ses premières passions. Incorporé chez les tirailleurs marocains, il découvre une autre vie, d’exigence et de fraternité. À Rabat, il devient moniteur d’éducation physique, sort major de promotion et gagne le respect de ses supérieurs. Peu après, il apprend la mort de son père. « Je suis resté à Rabat, entouré de champions français… Je me suis accroché. »

Son talent le mène jusqu’au championnat du monde de pentathlon militaire. Sixième en individuel sur 365 participants, puis médaille d’argent par équipe. À l’Élysée, il reçoit la Médaille d’Honneur de l’Éducation Physique et des Sports des mains du président Vincent Auriol.

La scène, la danse, le théâtre

De retour à Nîmes, il garde le goût du mouvement. Pour améliorer sa foulée, il s’inscrit à des cours de danse classique à l’opéra de Nîmes. Sa partenaire : la maîtresse de ballet. C’est là qu’il rencontre Bernadette Lafont, alors adolescente. « Je la raccompagnais après les cours. J’étais un peu son garde du corps », sourit-il.

Danse, théâtre, musique : il touche à tout. Sa mère lui enseigne le piano, puis la trompette. Il anime les rues de Nîmes à l’aube, trompette en main, pour réveiller la ville et les clients de son épicerie. Hyperactif, il monte à Paris, fréquente les cours Repetto (danse) et le cours Simon (théâtre), où il côtoie Jean-Louis Trintignant, Marcel Bozzuffi ou Roger Dumas.

Sa gouaille camarguaise amuse ses camarades. Il fréquente Saint-Germain-des-Prés, travaille dans les cafés du quartier, fonde “Le Distingo”, où défilent les grands noms du cinéma. C’est là qu’il rencontre Eddy Constantine, dont il devient la doublure officielle pendant plusieurs années. Suivront Robert Hossein, Tony Curtis, Brigitte Bardot, Roger Vadim, Barbara Laage… et même Paul Newman, qui lui offre un fer à cheval en souvenir de leur amitié : « Camargue Texas French ! » lui dit l’acteur américain.

Cascadeur et artiste

De la danse à la cascade, il n’y a qu’un pas… ou plutôt un saut. Athlète accompli, il devient cascadeur professionnel : chutes, combats, publicités, films d’action. On le retrouve dans Le Chien de pique d’Yves Allégret, dans des opérettes en tournée à travers la France, et jusque dans Angélique, Marquise des Anges, où il double Robert Hossein et joue les cuisiniers.

« La cascade la plus facile et la mieux payée ? À Antibes. On me jette dans un sac depuis une falaise dans la mer ! » rit-il.

De la scène au restaurant : l’Allegro

En 1970, il revient en Camargue et ouvre l’Allegro, restaurant et lieu de vie à Aigues-Mortes. Il y organise des événements, tourne des films publicitaires – dont deux récompensés aux États-Unis. Précurseur, il fait de son établissement un lieu d’accueil touristique et de découverte : une porte ouverte sur la Camargue.

Il ne se dit pas riche, mais heureux. « J’ai eu des hauts et des bas, mais je ne me plains pas. » Son esprit reste celui du sportif : avancer, recommencer, apprendre.

Un Camarguais fidèle à sa terre 

Aujourd’hui, il vit dans une propriété qu’il aurait aimé transformer en manade. Il écrit des poèmes et des chansons, traduits en anglais et en chinois. Chaque jour, il appelle sa sœur, comme il appelait autrefois sa mère.

« Je suis un embryon de protestant d’Aigues-Mortes et de Saint-Laurent-d’Aigouze », dit-il, fier de ses racines mêlées. Son attachement à la Camargue est une constante, une ligne de vie.

Un jour, il porte la crosse de l’archevêque lors du 800ᵉ anniversaire d’Aigues-Mortes. Des années plus tard, il découvre la photo de cette procession dans un livre — juste à côté d’une autre où il double Jane Birkin. Deux vies, deux mondes, réunis dans la même page.

PHILOSOPHIE D’UN HOMME LIBRE

Son message, simple et fort, résonne comme une devise :

« Si tu as envie de faire quelque chose, n’écoute pas ceux qui n’ont rien fait. Il y aura toujours des gens pour te dire que tu n’es pas fait pour ça. »

Entre mer et cinéma, entre taureaux et projecteurs, il incarne l’esprit d’Aigues-Mortes : courageux, curieux, fidèle et libre.

Tous droits réservés – reproduction, diffusion ou utilisation interdite sans autorisation écrite préalable de l’Office de Tourisme d’Aigues-Mortes.

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